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The Harder They Fall


Chaleur. J’ai que ce mot dans le crâne depuis que j’ai posé les pieds sur cette île, mais genre vraiment chaleur. Il y fait affreusement chaud. Pas juste chaud comme si tu te tenais à cinq mètres d’un feu de camp, chaud comme si le soleil était descendu de son perchoir pour venir te cramer tous les poils de ton corps. Le derche ne sera pas épargné, non.
On crame donc, ‘fin moi en tout cas je crame. Comme l’impression d’être un steak en plein cagnard, qui cuit sur les grilles d’un barbecue sauvage. J’ai même pas pu mettre de l’autobronzant en plus, avec ma peau sensible à une trop forte exposition aux rayons du soleil, je risque au moins un cancer aggravé. Enfin, si d’ici-là, la fournaise ambiante aura pas cramé toutes les cellules de mon corps. J’ai rencontré un gars un jour qui m’a dit qu’il valait mieux avoir froid qu’avoir chaud, parce que si tu te les gèles tu peux te couvrir pour te réchauffer. Alors que si t’as chaud, mais que t’es déjà entièrement nu, bah tu l’as dans l’os…

J’ai encore toutes mes fringues, j’ai même acheté un foulard pour me couvrir la face durant la traversée du désert et un chapeau aux bords retroussés vers l’intérieur. Très important le chapeau que m’a dit le vendeur, sans ce petit accessoire, sur cette île, vous êtes foutus. Les locaux ont fait passer une loi très importante à ce sujet, une avec laquelle ils ne rigolent pas contrairement aux autres lois existantes. Le port du chapeau est obligatoire.
Je suis donc arrivé sur mon cheval noir, parce que le blanc j’ai dû le laisser à un type qui s’appelait Henry le Quatrième, il a aligné plus de berrys que moi et forcément dans la vie c’est celui qui a le plus de fric qui l’emporte. Je me suis contenté de Tonnerre Grondant, ce que je regrette pas au final, un vrai éclair ce cheval ! Un peu têtu et rebel, mais une fois qu’on a réussi à le dompter, c’est une petite crème !

Fièrement posé sur Tonnerre Grondant, me voilà qui fait mon entrée dans la ville d’Exact Town. On m’avait prévenu que ça ressemblait pas à ce qu’on pouvait trouver dans les villes plus évoluées, plus avancées. Je m’étais fait l’idée d’une tribu de sauvages armés de lances et de lance-pierres, je suis plutôt agréablement surpris du coup. Ils ont pas des lances, mais des revolvers qu’ils appellent ça. Je m’en suis fourni un, première boutique à l’entrée du village, sur la droite, un marchand d’armement.
Sur la pancarte de bois dressée à côté des marches du perron, la phrase d’accroche dit que le vieux Bill O’Logan peut vous fournir tout ce dont vous avez besoin pour cracher la foudre. Et il avait raison. J’ai perdu quelques billets au passage, mais voilà qu’autour de ma taille trône un holster flambant neuf, dans lequel est rangé mon tout premier revolver de pistolero !

Ce qui fait donc de moi un pistolero. Cure-dent coincé entre les lèvres, regard sévère, les yeux légèrement plissés et les mâchoires serrées, je descends de ma monture, m’empare des rennes et conduit mon cheval contre la rambarde en bois pour l’y attacher. C’est marrant parce qu’ici, tout est fait de bois. Des planches de bois partout, pour tout. Une seule étincelle, un départ de feu et c’est terminé. Exact Town devient Ashes Town.
Je me sens observé, d’un peu partout à la fois, de personnes que je peux voir du coin de l'œil pendant que je termine le nœud attachant les rennes à la rambarde, mais aussi des gens que je ne discerne pas. Probablement des locaux, suspicieux à la vue d’un nouvel arrivant en ville, qui m’épient derrière les rideaux de leurs habitations. C’est pas franchement ambiance confiance totale ici, mais ça a son charme.

Comme un cowboy en promotion, je monte les marches et m’avance jusqu’aux portes battantes du saloon. Des portes que je claque vers l'intérieur d’un coup sec des paumes de la main, geste énergique et enthousiaste, trahissant l’excitation que je peux ressentir à pénétrer dans un lieu pareil. Ici, m’a-t-on dit, se rassemblent toutes les plus fortes têtes de la ville, afin de picoler, de jouer aux cartes, de fumer des cigares et écouter le même groupe depuis des années jouer les mêmes mélodies depuis autant de temps. Ici, on aime se battre, distribuer des grosses mandales dès qu’on est contrarié et ravager le bar en balançant des chaises au travers de la pièce. Ici, une soirée sans bagarre générale, ce n’est pas une bonne soirée.

Et surtout, ici, on aime pas les étrangers. Les Gadjos, comme on les appelle ici. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup.
Le Gadjo que je suis se fait immédiatement analyser par tous les poivrots et piliers de comptoir dans le saloon. Y’en a pas un qui m’adresse un sourire ou la bienvenue et si leurs yeux pouvaient tirer des balles, j’aurai la carcasse trouée comme du gruyère depuis longtemps. Pas le genre de truc pour autant qui m’impressionne.
Je vais directement au bar, poser les miches sur un tabouret. Le tenancier vient prendre ma commande. – Qu’est-ce que je lui sers au Gadjo ? Je sens au ton de sa voix qu’il ne veut pas me servir, mais que c’est une obligation. Tout le monde a le droit de consommer en ville, y’a aucune règle qui l’interdit. – Vous avez de la purée de tomates ? Je ricane, amusé, mais déchante aussitôt quand je comprends que la blague s’est écrasée lamentablement au sol sans même esquisser un sourire à son destinataire. L’épaisse moustache qui lui couvre les lèvres n’a pas bronché.

Dans mon dos aussi, je sens que la petite vanne n’a pas trouvé son public. – Ça va, ça va, je plaisante ! Un whisky sec s’il vous plaît ! L’atmosphère se détend légèrement, le barman soupire et me prépare ma commande qu’il claque devant moi, contre le bois de son comptoir, une fois prête. – Merci bien ! Je pense pas qu’il ait entendu, il m’a tourné le dos dans la foulée.

C’est une ambiance particulière, Exact Town.
J’aime bien.
    Le climat de mon Ile me manque. Deux ans que je suis partie pour le travail, mais surtout pour Les trouver. Deux foutues années que je vagabonde guidée par mes rencontres et mon instinct et je crois bien que c’est la première fois depuis que je suis gamine que je pense à retrouver la pluie, la gadoue et l'humidité qui ronge les rues et les bâtiments de ma ville. 

    Enfin de la ville où j'ai atterri à l’âge de dix ans, grandie et où je me suis entraînée. Entraîner pour tuer, proprement et sans laisser de traces, dans le respect de la société, nettoyer ce qu'il faut l'être quoi. La plupart de mes nettoyages sont bien rémunérées en plus, merci à la Marine et à ses imposantes primes.

    Bref me voilà donc sur ce Barbe pur-sang prénommé Vaillant -troqué en échange d'une broche que je gardais pour ce genre d'occasion- plus borné que moi, avec ce putain d’chapeau qui me tire les cheveux depuis que j'ai débarqué sur cette putain d'Ile. 

    Bon ok avec cette chaleur, je comprends la règle du port de chapeau obligatoire. En effet, je ne compte pas finir comme un œuf au plat qu'on aurait oublié sur la poêle...  Je déteste les œufs en plus.

    Mais bon sang, quelle idée de venir vivre dans un coin aussi paumé, dépourvu de tout sauf du soleil, du sable et du bois sec et brûlant. Le seul point positif est que là où je viens de débarquer, dans la ville d'Exact Town, les bars ne manquent pas. Et j'avoue que l'envie de boire un bourbon en fumant ma clope commence sérieusement à se faire sentir. 

    Arrivant sur mon cheval, je guette donc l'atmosphère qui règne et observe les quelques passants du coin de l'œil tout en attachant Vaillant à un pilier de bois. La méfiance que dégagent les humains de ce village me fait esquisser un sourire. Voilà qui sera bon pour les affaires. Car si ma cible du moment a effectivement posé le pieds ici, comme m'as dit mon informateur Garry Weiler, il ne suffira que de quelques tours de charme pour obtenir ce que je cherche. Les langues se délieront sous les vapeurs de whisky, mélangé à l'odeur du tabac et de mon parfum soigneusement choisi pour ce genre "d'opération". 

    Réajustant mes manchettes pour qu'elles recouvrent mes avant-bras du poignet jusqu'au coude, je me concentre sur la fraîcheur du saya protégeant la lame de mon katana, collant à mon dos trempé de sueur. Cette arme me rassure et est mon bien le plus précieux, plus que mes deux Kaiken glissés dans chacune de mes bottes. Oui, à part ma génétique et mes boucles d’oreilles, je ne suis pas trop fan des accessoires féminins à la mode, au grand désespoir de Leyla, ma mère adoptive. Elle était si fatiguée et se causait tant de soucis pour moi quand je revenais des entrainements, les cheveux ébouriffés, un œil tuméfié et mes vêtements en piteux état. Fière de moi, elle me laissait faire malgré tout, en serrant les dents je le voyais bien.

    Un jour peut-être je reviendrais la voir, pourrais m’assoir à la table de la grande cuisine de la superbe bâtisse où je vivais avec elle et je boirai son café tout en l’écoutant parler et rire comme j’aimais le faire autrefois.

    Je n'en aurais sans doute pas pour longtemps, dis-je à Vaillant tout en m'éloignant de lui d'un pas décidé. 

    Je choisi donc le premier saloon qui s'offre à moi et pousse les portes battantes. Il ne me manque plus que les éperons accrochés à mes bottines et je pourrais passer inaperçue. Hormis que je n'ai ni bottines, ni éperons. Je n'ai d'ailleurs pas le look des gens du coin et, vu les yeux qui me fixent et me scrutent avec insistance, je peux abandonner l'idée d'être discrète... 

    Être une femme c'est être habituée à ce genre de moments vous savez. Quand on vous regarde avec envie d'un côté et jalousie de l'autre. Là j'avoue n'observer que des yeux méfiants et méprisants, je peux vous dire que ça me change. Mais pas en mal. 

    Répondant avec insistance, les poivrots finissent par retourner à leurs bavardages et leurs jeux de carte et je finis donc par m'assoir à une petite table dans un coin près du bar. Le barman s'approche de là où je me trouve : 
    - Qu'est ce qu'elle veut boire la jolie? Dit-il d'un ton faussement poli et puant le dégoût des étrangers. 
    - Le meilleur de vos bourbons, avec des glaçons et de l'amabilité. 
    - Il n'y a plus de glaçons ici depuis bien longtemps chérie.
    Me fixant d'un œil mauvais, il me tend le verre et prend la monnaie posée sur le comptoir avant de se retourner pour servir le reste des occupants du saloon, déjà bien amochés tous autant qu'ils sont.

    C'est seulement à ce moment-là que je le remarque. Le seul homme ici qui n'ai pas sourcillé à mon arrivée, son derrière enfoncé sur le tabouret face au bar et le nez au-dessus de son verre de whisky déjà presque vide. J'allume ma clope et je le regarde. Je ne suis donc pas la seule étrangère à Exact Town. 

    Je vais peut-être trouver mon compte dans cette fournaise finalement.

      Par contre, je n’aime pas trop le whisky qu’il m’a servi. Je l’ai demandé sec, pas coupé à l’urine de putois. Je sais pas si c’est mon palais qui est trop délicat ou leur alcool qui sort tout droit d’un puit de pétrole, mais y’a quelque chose qui cloche avec ce que je déguste depuis quelques minutes maintenant. Ce qui me fait tirer un peu la tronche, je l’avoue. C’est que je grimace chaque fois que je bois une gorgée, avec la désagréable impression qu’une coulée de lave descend du fond de ma gorge jusqu’au bide pour chacune de ces fameuses gorgées de l’enfer. Si cette bouteille avait un nom, ce serait l’Enfer. Je me demande si c’est pas de l’eau des chiottes mélangée à un fond de bourbon qu’on m’a servi…
      — Dites, il fait toujours cette même impression votre whisky ? Perte du goût instantanée et délires hallucinatoires ? Ah-ah ! Petite vanne pour faire passer ce que je pense du breuvage sans trop vexer le gérant du bar, qui affiche toujours la même tronche de molosse constipé depuis que je suis entré. Celui-là il doit pas sourire tous les jours, la vache. La dernière fois que c’est arrivé, il a dû se déchirer une partie de la peau des joues tellement que son corps n’y est plus habitué.

      Nouvel échec de tentative de faire rire l’assemblée, c’est vraiment pas l’ambiance à la fête il faut croire. Ou c’est qu’ils veulent pas rigoler avec un Gadjo comme ils disent, ça doit faire mauvais genre. J’ai remarqué depuis que je me suis installé devant le comptoir que certains me lâchent pas des mirettes, comme des groupies obnubilées par la présence de leur idole, le chanteur vedette de leur groupe préféré. Sauf qu’ici personne ne m’adule, ce serait même tout le contraire. J’ai comme l’impression qu’on aimerait bien m’arracher à mon tabouret pour me faire voler à travers la pièce, me foutre dehors à coups de panards clinquant au derche et me passer à tabac dehors.
      Alors qu’est-ce qui les en empêche vraiment ? Le gros revolver qui dépasse de son holster, pendu à ma ceinture ? Vrai que je suis un pistolero maintenant, ça en impose forcément.
      Ou alors ce sont la présence de mes deux sabres pendant sur mon flanc gauche ? Ils ne sont pas encore sortis de leurs fourreaux depuis que je suis arrivé en ville, mais ils ont de la gueule. Mais ça donne aussi une sacrée piste sur ma réelle identité, je suis pas une fine gâchette pour un sous. Je manie le sabre depuis que je suis petiot, moi mon truc c’est de taillader les méchants, pas de leur tirer dessus comme dans un concours de tirs sur assiettes en vol. Et si ce n’est ni l’un ni l’autre, c’est que je pue trop pour qu’on m’approche… mais pourtant je me suis lavé hier, je le jure.

      — Vous auriez pas des cacahuètes au piment par hasard ? Il m’adresse même pas un regard, s’active un moment, avant de me faire glisser sur le comptoir un petit ramequin aussi vieux et usé que le bois de ses chaises. Silencieux, lui adressant tout de même un sourire de remerciement, je glisse un œil en contrebas pour voir de quoi il s’agit. — C’est pas des cacahuètes… D’un grognement, il me fait savoir que ça l’agace, avant de me le confirmer par la voix.
      — Y’a pas de ça chez nous. Mange ça.
      — Qu’est-ce que c’est, ça ?
      — Des graines de Berti le Nez Crochu. Chaque graine a un goût différent.
      — Marrant ! Comment on sait laquelle correspond à quoi ?
      — On sait pas. Il faut manger pour savoir, Gadjo.

      Il faut la jouer à l’aléatoire ? Eh, c’est un concept plutôt amusant. Le seul hic dans l’histoire, c’est qu’il faut y aller à l’aveugle. Ça rajoute tout de suite plus de pression, hein ? C’est comme devoir plonger sa main dans un bocal sans savoir ce qu’il contient, t’as pas les miches sereines. Je vais pas me dégonfler pour autant, c’est pas un petit pot de trucs bizarres qui viendront à bout du grand Aker ! Du pouce et de l’index, je m’empare de la graine rouge, parce que c’est ma couleur préférée. Des petits ricanements fusent dans mon dos, les vieux soiffards se marrent. Pfeuh, je m’en fiche, je suis un vrai homme moi. Fort comme un lion et courageux comme un ratel ! Hop, je balance la graine dans ma bouche et croque vaillamment dedans.

      Uuuuuuuuuuuuuuuch.
      Piment. Piment très fort. Rouge, orange, violet, je sais pas ce sont lesquels les plus forts, mais celui-là se classe parmi les plus épicés. De diouuuuuuuuuu. J’ai la gorge en ébullition, le feu dans les narines et l’enfer qui se déchaîne sur mes lèvres et à l'intérieur de ma bouche. Les sales enflures derrière se marrent, se retiennent même plus. Ils savaient évidemment.
      Sois fort Aker, ne montre rien. Imperturbable, impassible. Faire semblant que rien ne peut t’atteindre, c’est déjà faire la moitié du chemin. Parce qu’un gars qui croque dans une graine de piment extra fort et qui ne bronche pas, c’est un gars qui a une sacrée paire de roustons. Ils vont voir les salopards.
      Y’a une personne qui entre dans le saloon, une femme de ce que je peux voir du coin de l’oeil. Je tourne pas la tête pour zieuter, parce que si je le fais, ils verront tous que j’ai les larmes qui coulent de mes yeux et que le teint de ma peau a viré au rouge vif. C’est l’alerte à incendie dans tout mon corps et je ne dois surtout pas le montrer. Alors je ne regarde pas, tant pis si ça a l’air d’être une sacrée gonzesse bien roulée. Tout vient à point à qui sait attendre, nous pourrons faire connaissance plus tard. Pour le moment, c’est mon honneur d’ancien Chevalier de la Table Rectangle qui est en jeu. Moi, Sir Aker Coeur de Lion, je ne perdrai pas la face.

      — Tout va bien mon p’tit gars ? Arf, c’est quoi cette puanteur tout à coup ? Je ne bouge que les yeux, les fait pivoter dans un coin puis dans l’autre. Repéré, un cowboy à l’hygiène passable, voire déplorable. Est-ce qu’ils ont l’eau courante ici ? Pas l’impression à en juger l’état de crasse avancée dont est victime la peau de ce monsieur.
      Je lui réponds d’un pouce levé, tentant encore de maîtriser le brasier ardent qui se déchaîne en moi. — T’es sûr ? Parce que ça a pas l’air… l’impression que t’as avalé de travers ! Ils éclatent de rire, lui et ses potes à la table derrière. C’est qu’ils sont marrants les bouseux… Pour bien appuyer le fait que tout roule comme sur une planche de bois montée sur roulettes, je dresse mon second pouce vers les cieux. Têtu, le bonhomme me lâche pas du regard. Comme durant un duel à mort entre cowboy, sauf qu’il est tout seul à jouer puisque je ne quitte pas des yeux la rangée de bouteilles face à moi. Plusieurs longues dizaines de secondes s’écoulent… le type guettant le moindre signe de faiblesse chez moi… — Mah, laisse tomber… et il retourne s’asseoir.

      Double soulagement ici, puisque le feu qui me consumait de l’intérieur a fini par s’évaporer soudainement, Satan ayant sans doute jugé qu’il en avait fini avec moi. Langue pendante, haletant, c’est d’une traite que je termine mon tord-boyaux et en claque le cul du godet sur le comptoir. — Aaaaaah ! J’avais grande soif ! Et c’est pas du tout parce que j’avais la bouche en feu, non non non…
      D’ailleurs, je profite du fait que le barman soit occupé à me servir un deuxième verre pour jeter un œil par-dessus mon épaule. Où est-ce qu’elle s’est installée la demoiselle, exactement ?
      Trouvé. Hm, joli petit bout en effet. Y’a comme quelque chose qui nous lie, bizarrement. Je pense que ça a un rapport avec le fait que malgré ses fringues locales, le même souci qu’avec moi se pose, elle renifle l’étrangère sur des kilomètres à la ronde. Y’a qu’à voir les regards de travers qu’elle subit, elle ne trompe personne. Deux étrangers dans le même saloon de cette petite ville au même moment, voilà qui a de quoi filer de l’urticaire à ses pauvres locaux un brin exclusifs. — Barman, quand la demoiselle avec son épée aura terminé son verre, vous lui remettrez la même chose de ma part. Il tique, me fixe si fort que je sais pas s’il se retient de me tarter la gueule ou si j’ai un truc sur la fiole qui le dérange, mais finit par prendre le billet que j’ai glissé en contrepartie.

      Bon dieu, ils sont vraiment pas faciles ici…
        Perdue dans mes pensées, je n’en sors qu’au moment où le barman fait claquer le verre bien rempli devant ma tête d’étrangère.
        - De la part du Gadjo en face, me lance-t-il d’un ton mauvais avant de vaquer à ses occupations.


        Décidément, la politesse et l’amabilité ne sont pas les signatures de cet endroit… Aussitôt des infos trouvées sur ma mission, aussitôt je remonterais sur mon cheval et je tracerai ma route, ma patience à des limites mais encore plus depuis que j’ai mis le pied ici.


        Je prends le verre, regarde en direction de l’homme que j’ai remarqué quelques minutes plus tôt, et le lève, bras tendu, dans sa direction pour le remercier.


        Quand nos regards se croisent, je sens cette chose étrange frémir dans mes entrailles. Beaucoup trop sexy et charismatique pour n’être qu’un étranger lambda. D’autant plus que les armes qu’il porte, en dehors de son flingue local, en disent long sur le personnage qu’il est.


        Bref, quoi que ça puisse être il faut que je lui parle, et non ce n’est pas en raison de l’attraction sexuelle qui fait trembler les cellules de mon corps à la vue de cet étranger. De toute façon, cela ne durera pas longtemps, il y a des choses beaucoup plus importantes que les relations homme-femme. Non mais sérieux, quelle perte de temps.


        Non, cet homme sait quelque chose sur ce que je recherche. En tout cas il faut que je creuse un peu plus dans cette direction pour en être certaine. Mon intuition ne m’a jamais trompé après tout. Et ce n’est pas demain la veille que ça arrivera.
        Cette intuition m’a d’ailleurs déjà sauvée la mise un paquet de fois.


        Ecrasant la fin de ma clope sur le rebord de la table aux anciennes traces de cendre déjà présentes en nombre, je me lève, replace mes manchettes, un véritable tic dont je ne me rends même plus compte, et je m’avance dans sa direction.
        -     - Un sacré bourbon n’est-ce pas ? lui dis-je en posant mon verre déjà entamé à côté du sien tout en m’asseyant à distance raisonnable.
        -     - Le meilleur de la région je dirais, on pourrait le penser en tout cas vu l’état des gens du coin, me répond-t-il spontanément, un sourire franc sur le visage.


        Ignorant ce quelque chose qui chatouille l’intérieur de mon bas ventre, je remarque le ramequin devant lui et les graines de toutes les couleurs qu’il contient. Sentant la faim faire gronder mon estomac vide depuis la veille, j’approche ma main dans sa direction.


        Je ne ferais pas ça si j’étais vous, me dit-il en fronçant les sourcils et se passant la main sur la gorge. 
        - Ca tombe bien car vous n’êtes pas moi, dis-je orgueilleuse et la voix empreinte de défis.
        Croquant dans une graine orange, je ferme les yeux en sentant cette chaleur me monter au visage. Bien qu’immédiate, elle reste agréable et je savoure l’amuse-bouche qui croustille sous ma dent.


        Rouvrant les mirettes, je me rends compte que l’homme me fixe intensément, cherchant une réaction de ma part que je ne semble pas avoir, à son grand désespoir.

        - Eh bien, il semblerait que vous ayez eu plus de chance que moi, dit-il en soupirant.

        Esquissant une ébauche de sourire, fière de cette petite victoire personnelle, je lui tends la main :
        -         - Désolée de vous décevoir, Monsieur… ?
        -         - Aker S. Marshall, me répond-t-il en me rendant une poignée de main vigoureuse et je dirais même… chaleureuse.


        Le premier contact étant fait, je fini mon verre d’une traite et commence à me lever pour aller chercher une auberge afin de finir de remplir mon estomac avant que la nuit ne tombe. Après tout, rien ne presse et je ne pense pas que ni ce Marshall ni moi, ne repartirons de ce trou paumé avant l’aube. Et faire languir mes interlocuteurs fait partie de ma stratégie de toute façon. Rien de meilleure qu’une viande bien maturée me dirais Leyla.


        M’éloignant d’un pas décidé je l’entends me lancer de sa voix grave :
        -         - Comment puis-je vous appeler en retour ?
        -          - Tsukiya, Tsukiya tout court.
        Ma réponse se termine par le bruit des portes battantes du saloon se refermant sur mon passage.

          J’adresse un sourire amusé, un de ceux qui se veulent charmeurs sans vraiment l’être, à la demoiselle à qui je viens d’offrir un verre, lorsque celle-ci pointe son attention sur ma modeste personne. Je sais que je ne suis pas ici pour charmer la gent féminine, mais je ne parviens pas à détourner les yeux, tant sa beauté me frappe de plein fouet. C’est comme un gosse en admiration devant une charrette débordant de sucreries, sauf que je ne suis pas un mioche et qu’elle est loin d’être une charrette.
          De tout évidence, ce n’est pas un détournement de quelques minutes dans ma sainte mission qui me causera du tort, l’homme que je recherche ne semble pas être ici, la récolte d’informations attendra bien un peu. D’autant plus que l’étrangère se lève et se rapproche de moi, visiblement déterminée à entamer les présentations. J’ai un léger mouvement de panique, dépoussiérant brièvement le haut de mes vêtements tandis qu’elle se rapproche, se retrouvant bien vite à ma hauteur.

          Sa voix brise le silence et instantanément, je sais. Je sais qu’elle est spéciale, qu’elle l’est à mes yeux. C’est pas quelque chose qui s’explique, c’est quelque chose qui se ressent. Je le sais à notre premier échange, cette vague de chaleur qui s’empare de moi de l’intérieur, qui brûle et tourbillonne dans mon ventre. Je le sais parce que je suis à l’aise avec elle et pourtant, chaque fois que je dois m’exprimer, je suis à la limite de bégayer, les mots se mélangent et les phrases sortent difficilement. C’est à la fois facile et horriblement stressant, parce que je me sens impressionné, intimidé. Et une personne capable de m’intimider d’une bonne façon, je n’en avais encore jamais rencontré.
          Pendant qu’on discute, y’a ce sourire un peu béat qui trône sur ma figure, y’a ces yeux un peu étincelants qui n’arrêtent pas de la fixer. Elle est belle.
          Et semble avoir un caractère bien affirmé, en témoigne cette malice dans la voix quand elle se moque de ma mise en garde concernant le pot de graines.

          Très bien ma belle, mais si tu joues trop imprudemment, tu risques d’y laisser quelques plumes. Silencieux, mais attentif à la scène, je l’observe avaler une graine orange, impatient d’assister à sa réaction. Si elle est encore plus piquante que la mienne, alors elle ne devrait pas faire long feu.
          Les secondes s’écoulent, la brune reste de marbre, comme insensible aux effets mystérieux de l’aliment. J’avoue qu’une pointe de déception m’assaille, un soupir s'échappant d’entre mes lèvres. La chance du débutant, dira-t-on. Celle que je n’ai pas eu. Cela ne fait rien, il y a bien plus important en cet instant, comme profiter de la perche tendue pour me présenter convenablement et tenter d’apprendre le sien.
          Elle répond favorablement à la main tendue, le contact s'établit sous le biais d’une poignée de main chaleureuse et prometteuse, il serait mentir que de nier ce bref courant électrique me parcourant le dos au moment de toucher sa peau.

          Déboussolé, comme figé, je ne la remarque pas se lever de son tabouret pour prendre la direction de la sortie. C’est quand je sors de cet état léthargique et que je balaie la salle du regard que je la remarque aux portes du saloon, prête à s’évaporer sous la chaleur étouffante de la ville. Parvenant à lui arracher un nom avant qu’elle ne disparaisse, je me laisse retomber sur mon siège, penseur.
          Il me faudra plusieurs heures à songer à cette rencontre, avant de me décider d’aller à sa recherche et de poursuivre cette discussion écourtée bien trop promptement. Je termine mon verre d’une traite, les effets de l’alcool commencent à se faire ressentir, troublant légèrement ma vision et rendant mon équilibre moins stable que d’accoutumer. Sortant du bar, c’est tout naturellement que je me dirige vers l’auberge la plus proche.
          Les températures ont chuté, l’obscurité de la nuit ayant pris ses marques, envoyant le soleil se coucher. Je n’avais même pas remarqué que la soirée était bien entamée, ce maudit saloon aura bien failli aspirer mon âme. Il faut dire que la boisson m’a fait replonger dans mes vieux démons, à me torturer l'esprit avec le passé, m’accabler pour tout ce qui a mal tourné. La Guilde, la trahison de Sivierus, la mort de mes compagnons… que de sombres souvenirs qui ne cessent de resurgir aléatoirement au fil de mes journées, mais surtout de mes nuits.

          Je ne sais pas si cette Tsukiya dort déjà, mais je suis au balcon sur lequel donne sa fenêtre. L’information quant à l’emplacement de sa chambre n’aura pas été bien difficile à avoir, les étrangers ici ne semblent pas mériter l’anonymat ou tout autre chose garant de leur sécurité. Assis sur la rambarde en bois, une jambe pendante dans le vide, l’autre repliée contre mon torse, le pied sur la rambarde, je sifflote un air de chez moi. Une chanson que nous apprécions, avec mes camarades de la Guilde des Chevaliers de la Table Rectangle.
          L’idée n’est pas forcément de la réveiller, mais d’attendre qu’elle pointe le bout de son museau au balcon pour la saluer comme il se doit. J’ai beau ne plus avoir de guilde, mon code du chevalier ne s’est pas envolé. Certaines lignes n’ont plus d’intérêt désormais, mais d’autres restent encore bien ancrées au fond de moi.

          Elle apparaît finalement à moi, sans doute pensait-elle fermer le volet avant d’aller se coucher afin de ne pas être réveillée par la lueur des premiers rayons du lendemain. S’attendait-elle à me trouver là, perché sur cette balustrade, un sourire sincère et fière sur les lèvres ? Je ne saurais le dire.
          Ce n’est qu’une fois la fenêtre ouverte, que je bondis pour me remettre sur mes deux pieds, me dressant fièrement face à elle. — Dame Tsukiya, un plaisir de vous revoir. Je m’incline respectueusement, comme un chevalier s’incline devant une dame. — Vous êtes partie un peu brusquement tout à l’heure, je n’avais pas eu l’occasion de me présenter correctement. Je suis le Chevalier Marshall, Aker Slytherin Marshall, enchanté de faire votre connaissance. Tant qu’il le reste dans son cœur et son âme, un chevalier n’a nul besoin de guilde d’appartenance ou d’un Roi à servir. C’est du moins ce que je pense. — Que venez-vous faire ici, dans cette charmante et accueillante ville qu’est Exact Town ? Si vous me répondez les boutiques, je risque de me vexer… Je ne suis pas si stupide, elle n’a rien d’une greluche obnubilée par la mode. Et Exact Town n’a rien d’un lieu lanceur de tendance.
            Ce Marshall me reste dans un coin de la tête tandis que je rentre dans l’auberge pour prendre une chambre et le repas du soir, en espérant qu’ils en servent encore…
            - Bonsoir, je vais vous prendre une chambre pour la nuit ainsi que de quoi me restaurer s’il vous plait.

            La vieille dame derrière le comptoir me scrute de la tête aux pieds et, jalouse comme un pou, me répond rapidement :
            - Hmmmm, chambre 302 et pour le repas, je le prépare et il sera déposé devant ta porte dans 20 minutes.
            - Merci beaucoup, lui répondis-je en forçant un sourire tout en prenant les clés de ses mains abimées par le temps.

            Vite que je m’enferme dans cette chambre. Je n’ai pas eu à parler à grand monde aujourd’hui mais les humains commencent déjà à me taper sur le système. Je me promets que ce sera le dernier échange que j’aurai avec quelqu’un pour cette journée interminable.

            Montant les escaliers de cette auberge aussi vieille que sa propriétaire, j’atterrie enfin dans la chambre qu’on m’a accordée. 
            Rentrant dans ce qui sera mon repère jusqu’à l’aube, l’odeur du vieux et de la poussière me prend à la gorge.
            Comme je le pensais, elle a dû me filer la plus vieille et la moins entretenu du bâtiment. M’fin bref…

            Me déshabillant rapidement, je me glisse dans la douche. L’eau chaude coulant sur mon corps, je sens que les tensions de la journée s’estompent petit à petit. Mon esprit vagabonde un peu, pensant à ce bel homme qu’est ce Marshall, à l’allure d’un chevalier en quête d’aventure. Puis je pense à mon objectif premier, à des souvenirs de ma ville, de ma famille

            Chassant cette dernière partie et ce qui commençait à suivre de ma mémoire, je me promets de commander un bourbon à la vieille pour le reste de la nuit, histoire que mes pensées ne divaguent pas trop loin et que je puisse trouver la paix pour au moins quelques heures.

            Je sors de la baignoire, m’essuie le corps, la tête et les longs cheveux noirs qui me retombent dans le dos. Je passe ensuite délicatement sur mes avant-bras la serviette qui sent étrangement bon le propre, à l’inverse du reste de la pièce. Les marques de mon passé sont rougies par la chaleur de l’eau de la douche.
            Elles me plaisent autant qu’elles m’effraient…

            Ignorant ce frisson habituel qui parcours ma nuque, je me glisse dans un tchirt long, le seul vêtement que j’utilise pour dormir, et je me dirige vers la porte car quelqu’un vient de toquer.

            Un jeune homme, tout juste la vingtaine, me tend mon « plateau-repas » en me souhaitant un bon appétit, un air charmé sur son visage encore enfantin. J’en profite donc pour lui commander un bourbon comme prévu.
            - La bouteille ou un verre ? me demande-t-il le regard fuyant de timidité et les joues rouges.
            - La bouteille de préférence mais je ferai avec ce qu’il y a, lui répondis-je cette fois-ci avec un véritable sourire, le deuxième de la journée si je compte mon échange avec l’étranger qui ne veux décidément pas sortir de ma tête.
            - Très bien madame, euh… mademoiselle, souffle-t-il avant de déguerpir comme s’il avait été appelé d’urgence.

            Ah les hommes… 

            Une fois ma bouteille dans la main, je m’approche de la fenêtre de la chambre et je l’ouvre pour sentir l’air frais du soir sur mon visage quand je siroterai tranquillement mon bourbon, une cigarette à la bouche.

            Ce n’est que quand mes yeux s’habituent à l’obscurité que je remarque la seule personne que je comptais voir dans les jours à venir. Décidément, je ne serai pas tranquille tout de suite…
            Aker Slytherin Marshall se tient en effet devant moi, terriblement charmant avec son air fier sur la figure. Il prend le temps de se présenter entièrement cette fois-ci et me demande ce que je viens faire à Exact Town.

            Je réfléchis un instant mais ma spontanéité me fait lui répondre beaucoup plus rapidement que je ne l’aurai souhaité. Cela déroge d’ailleurs à ma façon de faire habituelle lorsque je m’adresse à une cible d’intérêt. 
            - En effet, je ne suis pas venue pour faire les boutiques, du moins pas celles auxquelles vous pensez. Je suis à la recherche de quelqu’un et j’ai l’intuition que vous pourrais répondre à quelques-unes de mes interrogations le concernant.

            En plus de manquer à ma promesse de rester dans mon coin et éviter le contact, je me retrouve à agir presque… familièrement avec lui. Sauf qu’il n’est ni de ma famille, ni un ami. Ce n’est qu’un étranger que je connais depuis quelques heures. 
            Tout faux Tsukiya.

            - Eh bien ! Vous ne m’avez donc pas accosté tout à l’heure sans avoir autre chose en tête ? Me réponds-t-il avec un air de défis et une voix un peu trop suave à mon goût.
            Hmmm… Arrête de penser à ce genre de choses Tsuki, ce n’est clairement pas le moment de s’amuser…

            - Et vous ? Qu’elle est donc la raison qui vous amène dans ce désert ? En dehors, bien entendu, d'offrir des verres aux jeunes femmes que vous rencontrez dans les bars? je lui lance, piquée de curiosité et fière de ma réplique.
            - Venez donc me voir que l’on discute, je dirais… plus librement. Je suis dans la chambre 310, dit-il un sourire charmeur en coin.


            Le fixant alors qu’il rentre dans la pièce derrière lui, je souffle la fumée que j’avais dans la bouche, écrase la fin de ma cigarette puis, décidée à en apprendre plus, je prends mon bourbon et me dirige vers sa chambre après avoir fermé la mienne et glissé un de mes couteaux dans une de mes bottes. Juste au cas-où…

              Je me suis glissé par la fenêtre de la chambre louée plus tôt, avant de venir me percher sur la rambarde du balcon donnant sur la piaule de cette Tsukiya. Cette femme m’intrigue, m’attire, et je ne sais pas si c’est simplement par sa beauté et sa prestance ou sur la raison de sa venue ici. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agit d’une simple visite en vacances, encore moins d’un caprice d’un désir de découvrir la région. Entre son arme et sa tenue, ainsi que les propos qu’elle tient depuis le début, quelque chose me dit que nous ne sommes pas si éloignés dans nos intentions respectives.
              Raison pour laquelle je souhaite lui parler en privé, entre les quatre murs poussiéreux de cette chambre aussi bien entretenue que les natifs de la ville. Je serai pas surpris d’apprendre que tout cela fait partie du traitement de faveur réservé aux Gadjos, tant les habitants affichent une certaine animosité envers moi depuis le début. M’enfin, ce n’est pas le moment de songer à tout cela, des esprits fermés j’en ai affronté bien d’autres depuis que je suis devenu Chevalier et j’en rencontrerai bien plus encore durant les prochaines années à venir. Jusqu’à ce que mes os deviennent trop vieux et fragiles pour sortir de mon lit, j’imagine.

              Profitant du petit temps qu'elle me laisse avant de frapper à ma porte, je fais un rapide rangement de la pièce afin de dégager un fauteuil et une chaise afin d’être à nos aises pour discuter. Lorsque ses doigts toquent à la porte, je lui ouvre dans la foulée, arborant ce petit sourire confiant et joueur aux coins des lèvres. Mes yeux glissent jusqu’à la bouteille entre ses doigts. — Je vois que Madame est venue accompagnée... Dois-je sortir deux godets ? Oui, très clairement, c’est une tactique à peine dissimulée pour m’incruster dans son plan pour vider cette bouteille. C’est que j’ai encore soif moi, même après ce que je me suis déjà enfilé. Et puis, très franchement, qui dirait non à descendre quelques verres en aussi charmante compagnie ?
              — Installez-vous où vous voulez, je vous en prie. Et permettez que je me mette à l’aise avant d’entamer les choses sérieuses… Alors, j’ai pas franchement réfléchi au sens que peut prendre cette phrase, balancée de la sorte, mais c’était évidemment pas à connotation sexuelle. Quand je parle de me mettre à l’aise, je parle de retirer tout cet attirail de chevalier qui me pèse après une aussi longue journée, ardente et harassante comme celle-ci. Je me déleste dans un premier temps du holster et son revolver, le déposant au porte-manteau dans un coin de la pièce. Pas encore tiré une seule balle depuis son acquisition, je ne cache pas être légèrement impatient que ça arrive. Qui n’a jamais rêvé de jouer les cow-boys, hein ?

              — Qu’est-ce que nous disions, déjà… ? Que je relance la conversation, tout en me débarrassant de l’étoffe bleutée couvrant la moitié de ce qui me sert de tronc. Cela m’importe peu de savoir si cela la gêne ou pas, quelque chose me dit que ce ne sera pas le cas. Ce ne doit pas être la première fois qu’elle a sous les yeux le torse d’un homme, quand bien même le mien est marqué à différents endroits par les balafres et mes différents combats, certains plus glorieux que d’autres. Ces cicatrices représentent et retracent mon histoire, mon passé, l’homme que j’étais, que je suis devenu. Je n’en ai pas honte, bien au contraire. — Vous deviez me dire ce que vous venez faire dans ce désert, avant cette audacieuse invitation à vous rejoindre dans votre chambre… elle sourit, taquine. Comme je le pensais, elle n’a pas froid aux yeux.
              J’aime cette témérité. — Simple volonté de ne pas être entendu d’oreilles indiscrètes, rassurez-vous. Je lui rends son sourire, retirant les plaques d’armures sur mes avant-bras, avant que celle présente sur mon épaule gauche suive, déposant le tout près de l’armoire. C’est que je commence vraiment à me sentir plus léger avec tout ça ! — Vous disiez être à la recherche d’une personne, eh bien c’est également mon cas… Voyez-vous, dame Tsukiya, je suis ce que l’on appelle un Chasseur de Primes. Lâchant l’information avec légèreté, je m’avance jusqu’à mon lit afin d’y déposer mes deux précieuses lames, debout contre le mur, proche de mon oreiller. On ne sait jamais ce qui peut arriver durant mon sommeil… Enfin débarrassé de tout mon attirail, je viens m’asseoir sur la chaise non loin de Tsukiya, qui a eu le temps de digérer l’information depuis.

              — Alors je ne sais pas qui est cette personne que vous recherchez, mais de par mon métier et les connexions liées au fil de mes traques et aventures, il se pourrait que je puisse répondre à une ou deux de vos questions, en effet… Après tout, je suis toujours ravi de venir en aide à une demoiselle en détresse. — Mais avant cela, il va me falloir me désaltérer un peu la gorge ! Ah-ah !

                Lorsqu’il m’invite à rentrer et m’installer dans sa chambre, aussi miteuse que la mienne soit dit en passant, j’en profite pour observer du coin de l’œil, tout objet personnel me permettant de répondre à certaines de mes interrogations.

                Ce Marshall est décidément bien équipé d’un point de vue armement et protection. L’équipement qu’il enlève devant moi doit peser des tonnes, quelle étrange obligation que les chevaliers se donnent à porter tout cet attirail…
                Mon agilité et mon talent dans le combat en seraient terriblement impactés, et puis il doit faire chaud là-dedans.
                Je rempli les deux godets qu’il m’a donné en voyant le Bourbon dans ma main et je porte le verre à ma bouche pour ne pas rester focaliser sur le corps parfait de cet étranger, ainsi que sur les cicatrices ornant sa peau, qui m’attirent et me parlent plus que de raison soit dit en passant.

                Je le remercie intérieurement quand il me demande où nous en étions et qu’il entre dans le vif du sujet. Pas de place pour autre chose, comme on a dit.
                Lorsqu’il m’annonce qu’il est également Chasseur de Primes, je ne suis pas réellement surprise. Tout laissait montrer cela. Mais à la différence des autres Chasseurs que j’ai pu croiser sur mon chemin, je remarque et ressens une franchise et loyauté qui émane de cet individu. Je pourrais presque lui faire confiance. Je dis presque car les lames qu’il dépose nonchalamment à côté de son lit me rappellent que je ne suis pas non plus en face d’un homme de foi.

                S’installant enfin à côté de moi, il m’incite à lui poser les questions qui me trottent dans la tête depuis le début. Je ne pensais pas que mon « interrogatoire » serait aussi facile à obtenir, ce n’est pas le cas d’habitude, en tout cas pas sans quelques menaces et hématomes…

                Je réponds donc ouvertement :
                - Eh bien, je suis à la recherche d’un meurtrier se revendiquant pirate. La piste que je suis depuis l’assassinat ayant eu lieu en contrebas de Marie-joie, de par mes recherches, m’a finalement conduite ici, à Exact Town. Il y aurait résidé quelques temps d’après mon dernier informateur. Ce criminel est responsable du meurtre du Sergent Ray Lardy, le fidèle bras droit et ami du Lieutenant Cristobal del Impetosa. Ma mission est donc de retrouver ce lâche et de le punir pour son acte, en dehors des codes classiques de la Marine.

                Cet assassin avait en effet enlevé la vie à ce sergent de renom. Le Lieutenant, qui n’était autre que mon père adoptif, tenait donc à ce que cette affaire soit « réglée » par quelqu’un de confiance. Rien de mieux donc que sa propre fille pour le faire. 
                Je ne dévoilais jamais mes liens de « parenté ». Le fait qu’une Chasseuse de Prime soit la fille adoptive d’un Lieutenant d’Elite était chose délicate aussi bien pour mon travail que pour la crédibilité du corps de la Marine. Je travaillais donc dans le secret le plus total, uniquement sous ses services, me faisant ainsi connaitre sous le nom de « Tsukiya tout court ». Certains me prénomment même « la Chasseuse aux manchettes » … J’avoue avoir apprécié ce surnom, surtout lorsque je l’ai entendu de la bouche d’une des crapules que je venais d’arrêter.

                En effet, si l’existence de mes liens de parentés avec un homme de la Marine se faisait savoir et arrivait aux oreilles de n’importe qui, Cristobal pourrait avoir des ennuis et pourrait même servir de cible et moyen de pression aux quelques ennemis que je me suis fait durant mon parcours.
                 
                J’omettais également la nature de ma quête personnelle. Car, en dehors de l’assassin que je recherchais pour le compte de la Marine, je menais également une chasse parallèle et particulière, qui ne concernait que moi. Car LES retrouver était ma véritable vengeance...
                 
                Attentivement, je plonge donc mon regard dans ses yeux charmeurs pour y déceler la moindre information non-verbale. Voyant que Aker ne sourcille pas et ne montre aucun signe d’alerte, je reprends une gorgée de bourbon en m’enfonçant dans le piètre fauteuil sur lequel je me suis assise.
                Nous sommes donc collègue, de ce que je comprends à votre manière de fonctionner.
                - Je travaille seule, lui lançai-je presque sur la défensive, mais en effet nous devons avoir des procédés communs.

                Avalant une grande gorgée de bourbon tout en me fixant d’un regard charmeur, il relance :
                - Cette prime est si élevée que ça pour inciter une si jolie femme à faire cavalier seul dans ce désert ?
                Ne voulant pas trop en dire et jouant la carte de la stratégie, je fini mon verre d’une traite :
                Je ne suis pas là pour me faire des amis et encore moins perdre mon temps en bavardage inutiles, lui dis-je en faisant mine de me diriger vers la porte de sa chambre.
                Soupirant, il me lance finalement, les yeux brillants d’excitation :
                - Dans ce cas-là, pourriez-vous envisager une collaboration entre âmes solitaires si je vous disais que je connais votre homme ?

                Je m’arrête et esquisse alors un sourire, dos à mon interlocuteur.
                « Enfin, ce n’était pas si compliqué que ça »
                  https://www.youtube.com/watch?v=wtj6jSXmte8&ab_channel=ExtendedAnimeOst

                  Pas facile que d’apprivoiser la belle, c’est qu’elle démontre un sacré caractère. Même si mène la discussion, je ressens très clairement que c’est elle qui a le contrôle de la situation. Elle sait amener les choses là où elle le veut et, je l’ai remarqué avec ma petite tentative, s’envolera dès lors qu’elle aura l’impression de perdre son temps. Je ne peux pas jouer avec elle comme je le fais avec les autres, elle est trop méfiante et concentrée sur son objectif, ça ne prend pas si facilement. Ce qui fait tout son charme pour être honnête, plus j’en découvre sur sa personne et plus j’ai envie de la connaître davantage. Ainsi donc elle est une Chasseuse solitaire tout comme moi, amusant. — Le Sergent Ray Lardy, paix à son âme, n’est pas le seul à avoir succombé à la lame meurtrière de ce pirate. Non, ce salopard traîne une liste longue comme la lame de mes katanas. — Finley collectionne les victimes depuis quelques mois, partout où il passe, la mort s’invite à la fête…
                  J’observe sa réaction d’un air amusé, tentant de déceler si elle connaissait déjà l’identité de l’homme à la poursuite duquel elle s’est lancée, savoir jusqu’à quel point elle est avancée dans cette traque que nous nous disputons. Prenant le temps de reprendre une gorgée de whisky, je poursuis dans mes explications. — Je crois qu’il doit se sentir sur le fil, que ses jours sont comptés.

                  Ce qui en soit est une bonne chose, cela signifie que l’un comme l’autre, nous ne sommes plus très loin de lui mettre la main dessus.
                  Je me lève de la chaise, me déplaçant jusqu’à une petite table de nuit proche du lit, côté porte de la chambre. Dessus, éparpillées en un petit tas de feuilles, de nombreuses affiches concernant tout un tas d’hommes et femmes dont les têtes sont mises à prix par le Gouvernement Mondial. Je m’empare de la pile, revenant m’affaler sur ma chaise, commençant à farfouiller dans la pile. — Je vous avoue que je n’ai pas pour habitude de bosser pour rendre service à la Marine… de prime abord, c’est de ça dont il semble s’agir, elle répond à une demande de la Marine qui ne veut pas régler le cas de ce criminel en l’amenant devant la justice. Pas de tribunal, pas de procès, pas de peine de prison. Vengeance pure et dure, seule la mort semble attendre cet homme. — D’autant que je ne suis pas trop à l’aise à l’idée de ramener mes proies plus mortes que vives…
                  Je lui tend l’affiche de Finley Phileass Forbs, sur laquelle un portrait peu reluisant de sa personne a été capturée par un escargophoto. Sous sa fiole, une somme représentant la valeur et la dangerosité de cet homme. Dix millions de berrys, ce n’est pas rien honnêtement. Enfin, sous cette somme la mention si spécifique, écrite à l’encre noir “Mort ou vif”, à laquelle je faisais allusion juste avant.

                  Naturellement, un soldat de la Marine qui tue de façon arbitraire, c’est très mal vu par l’opinion publique, en revanche nous autres Chasseurs de Primes n’avons pas à nous soucier de ce genre de choses, c’est compris dans le métier pour ainsi dire. Mais ce n’est pas pour autant que j’en abuse, il en va de mon honneur de chevalier, bien que déchu, d’épargner une vie si possible. Je ne tue pas pour le plaisir ou par vengeance, mais seulement quand j’ai épuisé toutes mes options. — M’enfin, je ne suis personne pour juger vos méthodes, dame Tsukiya ! Je parle d’or, jamais je ne me permettrait d’émettre un jugement sur les actions d’autrui, chacun son histoire, chacun ses décisions, chacun sa conscience. Le tout est d’être en paix avec soi-même, ce qui n’est pas si simple, je n’ai toujours pas réussi personnellement…
                  — Enfin bref, tout cela pour dire que nous avons la même cible, visiblement. Là encore, j’observe sa réaction avec un certain intérêt. — De vous savoir là, de par les informations que vous avez obtenues, confirme que je suis sur la bonne piste. De plus… Je me permets une nouvelle gorgée d’alcool. — J’ai probablement trouvé quelqu’un qui a de plus amples informations au sujet de notre homme. Je suppose que ça doit l’étonner, en effet son passage dans le saloon s’étant soldé par un échec, c’est sans aucune piste à suivre qu’elle en est partie. — Comme je vous le disais, vous nous avez quitté trop tôt tout à l’heure, vous avez raté le plus intéressant… Eh oui, je ne me suis pas seulement contenté de picoler tout ce temps, je suis resté, ai accroché mon appât au bout de ma ligne, lancé ma ligne à l’eau et j’ai observé qui venait mordre à l’hameçon. — Au bar, j’ai laissé entendre peu subtilement, mais en feintant d’être trop alcoolisé, que j’étais à la recherche de ce fameux Finley. Vous auriez dû voir certaines réactions… Je lui adresse un sourire espiègle, je sais que j’ai son attention. — Si vous le souhaitez, demain, nous pouvons y retourner et nous adresser directement à eux.

                  Simple suggestion, il n’appartient qu’à elle d’accepter ou non.
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